En début de la semaine dernière, PC INpact nous informait de la publication d’un avis d’appel public à concurrence par la HADOPI, pourtant sur une évaluation de la notoriété de l’offre légale et sur l’impact de la labellisation PUR sur cette notoriété. Évidemment, comme la plupart des annonces liées à la HADOPI, cette news a été abondamment commentée sur le mode « on fout en l’air l’argent du contribuable » ou « 200 000 € pour les copains ».
Au-delà de la dimension habituelle des commentaires que j’ai pu lire sur PC INpact et Numerama, pour la plupart dignes du café du commerce, ce non-événement m’intéresse tout particulièrement par la méconnaissance qu’il révèle de la part du grand public concernant les mécanismes de la dépense publique, des contrôles qui s’exercent sur elle, et des enjeux qui y sont liés. Des enjeux tout particulièrement graves, si vous m’autorisez un petit rappel d’histoire des institutions.
Commençons par un petit tour de l’autre coté du Channel.
Le consentement à l’impôt et la Grande Charte
Au début du XIIIème siècle, à la suite du décès de Richard Cœur de Lion lors du siège du château de Chalus, son frère Jean lutte pour asseoir son pouvoir sur le trône d’Angleterre. Il est confronté aux appétits de Philippe Auguste, qui aimerait bien récupérer les vastes possessions anglaises en France du Nord, ainsi qu’aux pressions de l’Église, qui cherche à accroître son autonomie. Ces luttes sont extrêmement coûteuses, et Jean n’est ni fin politique, ni chef de guerre habile, ce qui se traduit par de nombreuses défaites. Qui dit défaites, dit taxes pour reconstituer ses forces.
Excédés par une fiscalité écrasante, un groupe de barons se rebelle, prend Londres, et impose à Jean Sans Terre la promulgation d’une série de clauses qui seront connus sous le nom de la Grande Charte (Magna Carta). Ce texte, plusieurs fois modifié, abrogé puis réaffirmé au cours des années qui suivirent, prévoit entre autres dispositions visant à prévenir les abus du pouvoir royal, les premières clauses d’habeas corpus ainsi que l’interdiction de la création de nouveaux impôts sans l’approbation d’un conseil, ancêtre du Parlement anglais :
Aucun impôt ou aide ne sera imposé, dans Notre Royaume, sans le consentement du Conseil Commun de Notre Royaume, à moins que ce ne soit pour la rançon de Notre personne, pour faire notre fils aîné chevalier ou, pour une fois seulement, le mariage de notre fille aînée. Et, pour ceci, il ne sera levé qu’une aide raisonnable.
La résistance à l’absolutisme royal anglais
L’avancée suivante de la construction de la démocratie britannique a lieu en 1628, sous le règne de Charles Ier , alors que le pouvoir royal est au faîte de sa puissance. Peut-être un peu trop d’ailleurs, puisque qu’il s’attire une réaction de la part de la Chambre des Communes. L’Angleterre est alors en guerre contre l’Espagne : une guerre longue, très coûteuse, qui amène le roi à tenter de passer en force malgré le refus du Parlement de voter les nouveaux emprunts et impôts voulus par Charles Ier.
Après une épreuve de force entre la Chambre des Communes et le roi, ce dernier accepte (sans volonté de l’appliquer réellement) un texte nommé la Pétition des Droits (Petition of Rights), qui prévoit diverses garanties contre les abus royaux, et notamment la fin des impôts décrétés sans vote du Parlement, des emprunts forcés, des arrestations arbitraires et des atteintes à la propriété privée. Tous ces droits étaient déjà garantis par la Grande Charte, et se voient confirmés et remis au goût du jour, grâce à la pression que le Parlement a pu exercer sur les finances royales.
Ce mouvement amorcé se poursuit après la « Glorieuse Révolution », qui permet l’adoption de la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Ce texte est le socle du droit constitutionnel britannique, qui approfondit les grandes lignes définies par les deux textes précédents (ainsi que la loi d’Habeas Corpus de 1679), dont la question de la levée d’un nouvel impôt royal.
La réforme fiscale et la Révolution française
Si l’on revient sur le continent, à la fin du XVIIIème siècle, la monarchie française est confrontée à un blocage institutionnel : tous les efforts du pouvoir royal pour revenir à une situation fiscale saine sont mis en échec par les Parlementaires, qui défendent les privilèges de la noblesse et du haut clergé, alors que le poids de la dette de l’État pèse principalement sur la paysannerie et la petite bourgeoisie. La convocation des États Généraux par Louis XVI répond donc à une problématique de finances publiques et de réforme fiscale.
Adoptée dans l’effervescence révolutionnaire qui suit la prise de la Bastille le 14 juillet et l’abolition des privilèges le 4 août, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, du 26 Août 1789, consacre pas moins de trois articles à cette question du financement des politiques publiques et du consentement à l’impôt :
Article 13 – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.
Article 14 – Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
L’argent est le nerf de la politique
Au travers de ces quelques exemples historiques, nous voyons donc que le problème de l’acceptation par le peuple du principe d’une juste contribution aux affaires publiques est au cœur de l’apparition des démocraties occidentales. Nous pourrions également citer les États-Unis, dont la guerre d’indépendance trouve ses racines dans des problématiques fiscales.
Le consentement à l’impôt et le contrôle de l’usage des deniers publics sont des leviers majeurs de l’évolution démocratique des régimes ! Il est donc important pour le citoyen de garder ce fait en mémoire et d’observer avec attention comment sa contribution aux charges communes est utilisée, et de faire entendre sa voix lorsque l’usage qui en est fait n’apparaît pas satisfaisant.
Encore faut-il comprendre de quoi il retourne : comment l’État dépense-t-il notre argent ? Comment ces dépenses sont-elles contrôlées, et par qui ? Je me propose de vous en parler dans un prochain billet, qui portera sur les règles que doit appliquer l’État pour dépenser l’argent public : les marchés publics.